Arrivée de Tinal d'Abrens

Narrateur :

Par une belle journée d'hiver
Où l'on sent déjà poindre le printemps,
Se présente au château du maire
Un personnage très important.

Sans doute est-il de haut lignage,
Fier, courageux et sage,
Le port droit et de belle stature
Qu'il serait beau sur une monture.

En fait, arrive un pauvre hère, sans un sou et en caleçon,
Tentant de passer inaperçu ou, à défaut, pas pour un con.
Sourire crispé et tout tremblant, incognito il rase les murs
Pour éviter que les passants lui jettent des trucs à la figure.

Oui, bon... c'est plus ou moins, ce que j'ai dit. Si on ne peut plus enjoliver un peu les choses, alors...

Droit comme un I, il toise la garde
Qui, du château, protège l'entrée
Il n'a nulle peur qu'elle l'y brocarde
Ou qu'on l'empêche d'y pénétrer.

Timidement, il se présente, se dandinant d'un pied sur l'autre,
Et réclame du maire une audience pour être accepté à Chnafon.
Du haut des marches on le regarde et "A tes souhaits" on lui répond,
"Putain, j'aurai mieux fait de rester chez ma mère que de vouloir être des vôtres.
C'est pas possible d'entendre ça, c'est pas possible d'être aussi con !"
Atterré par tant de bêtise, l'homme reformule sa question :
"Je veux habiter votre ville et voir le maire à ce propos,
Quoi que s'il est aussi débile, j'aurai vraiment tiré le gros lot."

Vous voulez bien arrêter de me couper sans arrêt ? C'est pénible à force. Et puis les gens ne vont plus rien comprendre.
T'as qu'à bien raconter. Si t'arrêtais de dire des conneries, ça serait plus clair pour tout le monde.
Mais je fais mon boulot, moi. On me demande de narrer, alors je narre... ça s'improvise pas ce genre de truc, c'est tout un art.
C'est ça, c'est ça. Narre et moi je traduis derrière sinon on s'en sortira pas.
Hum, hum. Je continue.

Face à un homme d'une telle prestance
Les gardes s'écartent avec déférence
Laissant passer ce gentil seigneur
Et l'escortent même jusqu'au leur.

Dans une grande salle, on le fait asseoir
On lui apporte du pain et même du vin
Pour qu'il patiente en attendant de voir, enfin,
Le maître des lieux avant le soir.

C'est n'importe quoi ce que tu racontes, écoute plutôt la vérité :
Ce n'est pas avec déférence mais bien, dans le cul, à grands coups de pieds
Que le bouseux est balancé sans ménagement aux oubliettes
Et de grands vins il n'aura pas mais des coups de bâton sur la tête.
Des heures durant il pourrit là avec pour compagnon de cellule
Un vieux poivrot arrêté la veille alors qu'il enfilait sa mule.
Le malheureux pleure à chaudes larmes et appelle même sa maman,
Jusqu'à ce que, courageusement, il se décide à gueuler un coup :
"Mais bordel de chiotte de pays de merde, y a-t-il personne ici-dedans ?!
Je veux sortir et voir le maire. J'vais quand même pas crever dans c'trou !"

Narrateur :

Ne voyant toujours rien venir,
Notre héros s'en veux partir
Mais de partout on le retient
Et le persuade qu'il n'en fasse rien.

Le maire, dit-on, est très malade
Il se peut même qu'il trépasse.
Quelqu'un devra prendre sa place
A la tête de cette bourgade.

S'il attend encore un peu
On lui promet que, s'il le veut,
Ce sera lui le nouveau maire.
Le héros reste, il accepte l'affaire.

A force de s'égosiller
Et du fond du cachot d'appeler
Quelqu'un arrive pour l'écouter
Pourvu qu'il arrête de gueuler.

"Qu'est-ce que tu veux ?" qu'on lui demande,
"Sortez-moi d'là, je paies mon amende."
"Pourquoi donc que t'es enfermé ?"
Questionne encore le geôlier,

"J'voulais voir l'maire et lui parler
Mais on m'a viré à coups de pieds !"
"Tu vas pourrir ici encore longtemps
Car notre maire est bien mourant.
On lui cherche même un successeur.
La charge est lourde et sans bonheur,
Personne n'en veut et j'le comprends."
"Que faut-il faire de si pesant ?"
Demande notre homme à son gardien,
"S'occuper de la ville et de ses vauriens !
C'est bien assez pour rebuter les gens d'ici.
C'qui nous faudrait, c'est un gogo, un abruti."

Voyant, enfin, venir la chance de se sortir de sa condition,
Notre homme accepte et se présente, quitte à passer pour un couillon.

Oui, on peut voir les choses comme ça mais je préfère ma version...

Pensant, enfin, avoir trouvé celui qui résoudra leur malheur,
Les habitants de Chnafon font au héros une haie d'honneur.
Flatté par tant d'égard et ne voulant pas décevoir la foule,
Le beau seigneur monte à l'estrade...et manque de bol on voit ses boules !

Mais vous m'emmerdez à tout casser comme ça ! Vous avez bouffé des chiantos ou quoi ?
Bah, comment tu sais ?
Bon, je peux finir mon histoire maintenant ?
Mais tout le monde s'en fout ! Puis on a compris ce qui se passe : on le vire du cachot, il se présente à la mairie, il prend une veste et se ridiculise puis il retourne pleurer chez sa mère. Qui ça intéresse franchement ?
T'as raison. De toute façon, personne n'écoute plus ce genre d'histoire de nos jours.
Allez, viens, on se casse. Tu veux un chiantos ? Et c'est bien comme métier "narrateur", ça paye bien ?

La suite de cette histoire.

» L'arrivée de Lart
» Arrivée de Baboum
» L'Arrivée d'un homme un peu perdu.
» L'arrivée D'Allastor à Mliuej
» Arrivée puis [pêche]