Apocalyptic

On ouvre un oeil. On en ouvre un deuxième. Un ciel. Noir. Une nuit, avec des étoiles, myriade de petits points blancs. Un mal de tête, aussi. Peut-être un genre de farfadet miniature entré par une oreille, donnant avec entrain des coups de pioche contre la face interne du crâne.

Ou, plus vraissemblablement, une bonne cuite. Un excellent moyen de se retrouver dehors, affalé dans l'herbe, allongé sur le dos. On ne sait pas trop quand, pas trop comment. Mais une fois qu'on a cuvé, sûr, on se réveille. Pas tout le temps, celà dit, mais ces humains et ces elfes ne sont pas très solides, côté alcool. Ce qu'il faut c'est un Nain. On est sûr de se réveiller.

On grogne, on se soulève un peu, on évalue l'état dans lequel on se trouve. Pas d'éléphant rose, une bonne chose. Ca tangue un peu, mais pas tant que ça. Bon... De l'herbe. Des arbres, des sapins. On tourne la tête, en essayant de pas énerver le farfadet qui cogne en dedans. Des montagnes, un petit village. Souvenirs? Beuverie Naine. Habituel. On grogne encore un peu. On essaie de se relever, puis on s'affale et on se dit que finalement, on est mieux là, à regarder les étoiles.

Si on les fixe trop longtemps, elles se mettent à bouger. Un peu. Puis un peu plus. Elles dansent. Vision poétique d'un Nain bourré. En étant un peu plus rationnel on se rend vite compte qu'elles dansent comme si... Comme si elles étaient bourrées, sans coordination. Elles s'agitent. On en voit une traverser le ciel en laissant une traîner blafarde. Ca, on le sait, pas un effet de l'alcool. Une étoile filante, c'est normal. Une deuxième, et une autre. Elles ne doivent pas tomber très loin. Celle-ci non plus ne va pas tomber loin. Elle se rapproche. Elle grossit. On la voit de mieux en mieux, on commence à s'inquiéter, la grosse boule incandescente. Mais on est bourré, on ne veut pas bouger. On a chaud. Chaud. De plus en plus. Pas grave, on est bourré, insouciant. Que peut elle faire à un Nain ivre?

Et elle s'écrase.

-Bordel de... Mais qu'est-ce que c'est que ça?
-Heu, je sais pas, c'est pas ce qui était prévu! Je sais pas ce qui a pu se passer! Ca aurait du marcher...
-Putain! C'est pas bon pour nous, ça! Et qu'est-ce que c'est? Qui c'est?
-Heu, on dirait... On dirait un Nain, chef. Comme dans les légendes.
-Vous vous foutez de moi? Les Nains, ça fait longtemps qu'ils se sont éteints. Ca fait des siècles qu'on n'en a pas vu.
-Heu, je sais, chef. Mais là, on dirait vraiment que c'en est un.
-Comment est-ce qu'il a pu arriver là?
-C'est difficile à dire. Je pense que quelqu'un a du détourner un flux de mana pour lancer un sort, créant ainsi un champ magnétique instable qui a englobé l'appareil. Cette instabilité a pu provoquer une distortion spatio-temporelle, mais celà n'aurait pas pu... Ca ne devrait pas suffire. Nous avons pris nos précautions à ce sujet. Non, je pense qu'il s'est produit un concours de circonstances, ce Nain a du se trouver dans une zone de dérèglement magnétique à une époque donnée, permettant au vortex de se former sans tenir compte de la dimension temporelle. Je pense que ce Nain vient du passé.
-Ho bordel, on n'avait vraiment pas besoin de ça!
-Non, effectivement. En attendant qu'il se réveille, il faudrait le sortir de là, nous devons continuer nos essais...

Ce foutu farfadet est réveillé. Moi aussi, du coup, mais je préfère ne pas lui montrer. A travers mes paupières, je vois de la lumière, et je sais que si j'ouvre les yeux, il va s'enrager et cogner vraiment plus fort.

Alors je ne bouge pas. J'étudie mon environnement. Je ne comprends pas où je suis. Le sol est froid et dur, un peu comme les dalles de pierre qu'on trouve généralement dans les donjons, mais en plus régulier. L'air ambiant... De l'humidité, ce doit être un local souterrain. Mais d'où viendrait la lumière, alors? Pas d'une lanterne, en tout cas, c'est trop vif. Dans le doute, je prends le risque.

J'ouvre. Comme prévu, le farfadet se fait un devoir sacré de pilonner l'intérieur de mon crâne, et fout le feu à mes yeux au passage. Je finis par me demander ce que j'ai bu, pour me retrouver dans cet état. Mais le souvenir du météore me dit que l'alcool n'y est pour rien - pour une fois. Bon.

Je promène mon regard de ci, de là. Oui, je suis bien dans un souterrain. Mais je ne sais pas de quoi il est fait, ce qui, pour un Nain, est improbable et même un peu inquiétant. Le sol, les murs et le plafond sont réguliers et lisses, d'un gris sale et uniforme. Ha, et la lumière a bien une origine, finalement. Une série de ce qui me semble être des globes alchimiques. J'en avais déjà vu un, dans le temps, mais ces choses étaient presque aussi rares que... Je n'ai aucun point de comparaison, tellement elles sont rares. En voir plusieurs ici me sidère. En même temps, je ne sais pas ce qu'est ce "ici".

Maintenant que je me suis redressé, je vois que je suis dans un genre de cellule, avec des barreaux métalliques qui se dressent du sol au plafond. A travers, je peux voir que la mienne fait partie de tout un bloc de détention. Mais je suis seul. Ha non, je n'avais pas vu cette étrange créature, là-bas, près de la porte. On dirait un garde. Je me relève en titubant et avance vers elle, pour l'examiner de plus près. On dirait un humanoïde, mais engoncé dans une étrange combinaison noire, le visage couvert par un casque d'une forme... Absurde. Une visière lisse, rouge sombre, cache toute sa face, et le reste est fait d'un matériau noir que je ne connais pas. Je ne vois pas ses yeux, mais je sens qu'elle me regarde. "Il" serait plus juste, il s'agit d'un humain.

Il pose un doigt ganté sur son casque, à un endroit tout à fait comme les autres, et une voix grinçante s'échappe depuis sa visière.

- Il est réveillé. Le Nain.

Même à travers son casque, "le Nain" sonne bizarrement. On dirait qu'il parle de moi comme... Pas tout à fait comme d'un Dieu, mais comme quelque chose de fantastique, d'incroyable. Ne sachant trop que faire, je me décide alors à communiquer. Après tout, il parle ma langue.

- Bonjour, dis-je d'une vois coassante et sèche, à tel point que je me demande s'il m'a compris. Visiblement oui. Il relève sa visière et s'approche des barreaux. Il a bien un visage humain, tout à fait quelconque. Mais tous les humains ont un visage quelconque, selon moi. Ils ne m'intéressent pas.

- De l'eau? J'acquiesce. J'aurai préféré une bière glacée, mais inutile de donner des excuses à mon farfadet. Il explore sa combinaison, tâtonnant, probablement à la recherche d'une gourde. Inexistante. Il grogne un vague "je reviens" et s'éloigne, disparaissant de mon champ de vision.

En l'attendant, je retourne au fond de ma cellule, où je découvre un lit sommaire. Je me demande d'abord comment j'ai pu ne pas le voir, mais je me rends compte qu'il faisait partie intégrante du mur. Ingénieux. Je m'assieds lourdement dessus, tentant de rassembler un peu mes esprits, malmenés depuis la veille. Je laisse balotter mes courtes jambes, inspire à fond. Je m'apperçois que je suis couvert de suie, sûrement à cause du météore, et que mes vêtements sont partiellement brûlés. Aucune importance, ces bouts de tissu sont remplaçables. Je n'ai jamais bien compris l'attachement que portent certaines races, comme les elfes, à leurs tenues. L'esprit Nain est plus pratique. Pas besoin de s'encombrer de fanfreluches, des affaires fonctionnelles nous suffisent. Rattrapant le fil de mes pensées, je passe une main perplexe dans ma tignasse ébouriffée, d'où je vois tomber sans grande surprise une pluie de suie.

J'entends à nouveau les pas du garde, qui revient avec une grande gourde. Je la saisis à travers les barreaux, y bois goulument, avant de la vider sur ma tête pour me décrasser un peu. Je surprend un regard amusé.

- Qu'est-ce que je fous là?
- Je pense que vous devriez attendre un peu. Mes supérieurs ne devraient pas tarder. Et ils sont aussi incrédules que vous. N'ayez pas peur, me dit-il avec un air sérieux, cette cellule est une précaution nécessaire, nous ne vous voulons pas de mal.

Je ricanne. Un Nain n'a jamais peur, je lui réponds. Son sourire s'agrandit encore. J'en finis par avoir peur que sa tête se fende d'une oreille à l'autre. Je retourne ensuite me caler sur le lit, en attendant que les "supérieurs", sacs à réponses sur pattes, viennent s'inquiéter de moi.