Marcher, Liliana n'aimait pas ça, mais avait réussi à s'y accommoder. La téléportation par contre, ce n'était vraiment pas son truc. Après une rapide lecture du parchemin, elle s'était en effet retrouvée en moins d'une seconde entourée de murs, de puanteur et de saleté. Elle oublia cependant la ruelle quelques instants pour vomir entre deux amas de détritus, son estomac n'avait pas supporté le sortilège. La soif n'en était que plus forte, mais elle se devait se concentrer sur ce qui l'amenait ici, à savoir, retrouver des cartes. Si elle avait encore un pont et un équipage, elle se serait bien tirée avec le plan, mais comme ce n'était pas le cas, elle n'avait pas d'autres choix que remplir ses obligations. Sortant de la ruelle où elle avait atterrie, Vinci se dépoussiéra et se dirigea vers les quais, il fallait trouver ce fameux Fracassant. Les mains derrière la tête, Liliana regardait le ciel, en marchant, elle réfléchissait à la manière dont elle allait pouvoir accéder à ces fameuses carte, et surtout, poser un pied sur le pont.
Jetant un coup d'oeil de temps à autres sur les bateaux, elle finit par apercevoir le Fracassant, pas si spectaculaire qu'elle l'imaginait, mais qui se défendait bien quand même. Quelques pas sur le ponton où était amarré le bateau, elle remarqua la présence de deux hommes qui jouaient aux cartes sur une caisse, assis sur des sacs. Se rapprochant des deux parieurs, elle afficha un grand sourire et se pencha en avant.
« Eh les mecs, je peux jouer ? »
Ils s'arrêtèrent net pour la regarder, ou plutôt, le reluquer, puisque son visage fut bien la dernière chose sur laquelle ils posèrent leurs yeux.
« Tu paries combien ?
- Si je gagne, une place sur votre bateau, je suppose que c'est le votre là.
- Et si tu perds ?
- Je vous laisse mon short et je m'en vais. »
Les deux acolytes se regardèrent et éclatèrent de rire, Vinci n'abandonna pas son sourire cependant, croisant les doigts, elle se redressa et pivota sur elle-même, pour regarder le bateau, certes, mais pour laisser aux deux hommes une vue non négligeable sur sa descente de reins. S'ils hésitaient, ce n'était plus le cas.
« Un bras de fer, ça te tente ? »
Liliana aurait espéré mieux, mais pour la seule occasion qui se présentait, elle ne pouvait pas se permettre de faire la difficile. S'asseyant à la place du moins baraqué, elle plaça son coude sur la caisse et attrapa la main de son adversaire qu'elle regardait dans les yeux, lui regardait plus bas. Le décompte fut donné et l'épreuve débuta, il fallait tout miser sur la force brute. Bien qu'assez débrouillarde, la tâche se présenta plus difficile qu'elle ne l'imaginait, et la victoire n'était plus aussi sûre que quelques minutes auparavant. Un sourire au coin des lèvres, elle pinça le haut de son bustier avec sa main libre et le baissa d'un geste vif. L'arbitre étouffa un bruit assez suspect, quand à son adversaire, surpris sans doutes, relâcha sa poigne. Liliana mit brusquement fin à l'échange et remporta la victoire, puis réajusta ses vêtements correctement.
« C'est de la triche !
- Elle a gagné, on n'y peut rien ! »
Satisfaite, Vinci salua les deux hommes et commença à se diriger vers le bâtiment, mais remarqua alors que le capitaine dudit bateau se trouvait à l'autre extrémité de la passerelle, la regardant fièrement au bord de son navire. D'un air provoquant et d'une démarche particulière, elle se rapprocha du bonhomme qui la fixait sans ciller.
« Capitaine, je cherche une place sur votre navire !
- Pourquoi j'vous accepterais ?
- J'ai une bonne expérience du nettoyage de pont, je sais me battre, j'aime naviguer, et je ne peux pas nier que mes poches sont vides, et que je cherche un moyen de remédier à cela.
- Et si je refuse ? »
Liliana décocha un dernier sourire à Swarf et se retourna pour commencer à descendre la passerelle, en exagérant au possible son superbe déhanché. Elle allait poser un pied sur le ponton lorsqu'une grosse voix la rappela à l'ordre, le capitaine acceptait de la prendre dans son équipage, et elle commençait d'ailleurs tout de suite, en briquant le pont du Fracassant. Le reste de l'équipage, exclusivement composé d'hommes, ne manqua pas d'admirer la flibustière en action, à quatre pattes au milieu du bateau, savonnant avec frénésie.
Le soir finit par arriver, Vinci était légèrement fatiguée, cela faisait bien des années qu'elle n'avait pas frotté le bois comme cela, c'était elle qui l'ordonnait, habituellement. Ôtant son bandana, elle se passa les mains dans les cheveux puis essuya la sueur de son front, sa chevelure ondula quelques instants au gré du vent, puis elle le remit soigneusement. La gorge sèche, elle jeta un coup d'oeil autour d'elle, remarquant alors que le pont était désert. Elle se dirigea alors vers la cabine du capitaine, et en ouvrit la porte.
« Je peux entrer ? »
L'équipage semblait tout à fait admettre la présence de Liliana, le capitaine lui, hésitait cependant.
« Pas grave, j'vais aller boire un coup. »
Elle commença à refermer la porte lorsque son nom fut prononcé, un matelot lui expliqua qu'ils allaient tous boire un coup avant de partir, et qu'il serait dommage que Vinci commence sans eux, alors le capitaine daigna la laisser entrer. Elle les remarqua alors immédiatement en entrant, les cartes étaient là, sur la table. Swarf reprit son topo sur la situation et Liliana buvait ses paroles. Il parlait du récif comme de la plus belle chose qui existait sur terre, promettant un nombre incalculable de pièces d'or et d'autres richesses indescriptibles. Pendant quelques minutes, elle se demandait s'il ne valait pas mieux laisser tomber la mission et partir avec cet équipage en quête des Crocs de Jlaf, même si sa part allait certainement être minime, c'était toujours bon à prendre, plutôt que de remettre les plans à quelqu'un d'autre. Mais naviguer sous le commandement d'un autre homme, Vinci avait du mal à l'avaler, alors elle abandonna l'idée.
Plus tard, tout le monda quitta le navire, deux hommes restèrent pour surveiller, toujours les deux mêmes. Liliana suivit le groupe dans une taverne du coin. La soirée fut assez rude, mais elle tenait très bien l'alcool, et quand tout le monde était en train de chanter des chansons incompréhensibles, de se mettre sur la courge, de jouer, Liliana, elle, était dehors, en route vers le Fracassant. Elle arriva en courant vers les deux hommes, insistant sur son essoufflement.
« Les mecs, y a une grosse baston à la taverne sauf que c'est la merde, y a des potes qui vont se faire égorger si on les aide pas. »
Pliée en deux, les mains sur les hanches, elle reprenait son souffle.
« Sans vous j'peux rien faire !
- On y va, viens !
- J'arrive, deux secondes, j'suis morte.
- Bouge-toi le cul ! »
Les deux hommes s'éloignèrent rapidement, Vinci stoppa sa comédie et monta en vitesse la passerelle, direction la cabine du capitaine. A sa grande surprise, celle-ci n'était pas fermée à clé, mais ce qui la surprit également, c'est que le capitaine était derrière, penché sur ses cartes.
« Bordel, qu'est-ce que vous foutez ici ?
- Je venais vous voir, capitaine.
- Me voir ?
- Oui, j'avais besoin d'un homme, un vrai... »
Vinci enleva son bandana et se rapprocha du capitaine, puis commença à défaire sa ceinture. Swarf s'installa sur la seule chaise de la pièce, et Liliana vint s'asseoir sur ses genoux. Cependant, l'humaine entit le contact d'un objet froid dur, froid, et pointu. Le capitaine avait son sabre pointé sur elle, au niveau des côtes.
« T'es là pour me piquer les cartes, c'est ça ? »
C'était bien joué, il fallait l'admettre, mais trop confiant, ledit capitaine n'avait pas remarqué que Liliana avait également une lame, qu'elle planta dans la nuque du bonhomme, sans attendre.
« T'as tout compris. »
Ne passant pas une minute de plus sur les genoux du cadavre, elle enroula les cartes et sortit son parchemin, pour relire une seconde fois l'étrange formule qui allait lui retourner les tripes.